Je ne partage rien de personnel en ligne; voici ce que je partage. Ce projet résulte d’une invitation à commissarier une exposition en ligne pour OBORO. Cette exposition se penche sur ce qui s'est passé depuis que l'Organisation mondiale de la santé a déclaré que le virus COVID-19 constituait une pandémie (11 mars 2020). L’une de mes principales préoccupations en commissariant une exposition en ligne était de gérer la fatigue de la quarantaine. Pour ceux et celles d’entre nous qui travaillent à distance – probablement le public de cette exposition – le travail et les interactions en ligne ne sont pas un choix. Lorsque nous avons le choix, nous nous en libérons. C’est pourquoi j’ai décidé de commissarier une exposition qui serait personnelle. Les œuvres sélectionnées abordent des émotions que j’ai éprouvées à cause de l’isolement, de la réduction des activités physiques et de ce sentiment désespéré de « je ne peux pas » ressenti dans mes activités quotidiennes (en référence aux « I cannots » de Sara Ahmed). La fissure est le thème partagé. Avec la pandémie, toute sorte de choses se sont fracturées ou brisées, incluant des relations personnelles et le sentiment d’avoir le contrôle sur nos vies.
Cette exposition est personnelle aussi parce qu’elle est liée à mon rapport émotif avec le travail de Lindsay Dawn Dobbin, Greg Lasky, Sally McKay et Lorna Mills, Benny Nemerofsky Ramsay et Michèle Pearson Clarke. Les pièces sélectionnées traitent d’intimité et de formes de rupture. Certaines œuvres présentent directement des objets ou des relations brisés (Fragments of Rosalie de Benny Nemerofsky Ramsay et Handmade Mountain de Michèle Pearson Clarke). L’une est inspirée d’un deuil pandémique (Boost Presume I’m Gonna Breathe Grieved de Sally McKay et Lorna Mills). L’une transmet des émotions complexes devenues récurrentes en pandémie (Untitled de Greg Lasky). Alors qu’une autre évoque l’espace mental ouvert après une tempête, alors que l’on franchit une nouvelle étape et accepte ce qu’il y a – devant et autour de nous (Arrival de Lindsay Dawn Dobbin).
Depuis une dizaine d’années, je pense que les choses productives apparaissaient dans une fissure, lorsque nos liens et nos relations ne fonctionnent pas, lorsque l’on est incapable de se rejoindre et que nos relations aux autres se traduisent par un raccourci. Les structures oppressives nous affectent profondément et personnellement. Dans ma thèse, j’ai formulé la proximité critique comme des moments productifs de déconnexion dont la base se trouve dans la proximité. Certaines œuvres invitent les spectateur.rice.s à se rapprocher d’elles physiquement et à interagir. D’autres impliquent un contact tactile. D’autres encore explorent des formes métaphoriques de proximité et de distance entre les spectateur.rice.s et l’œuvre (ou les gens représentés dans l’œuvre). La proximité critique est critique car elle incite à réfléchir aux interactions entre les spectateur.rice.s et les œuvres d’art; elle est proximité car sa structure et son esthétique sont ressenties de près afin d’éroder le sentiment de distance et de détachement entre le soi et l’Autre. En s’opposant à l’idéale « distance critique » de l’histoire de l’art, elle est un moyen de réflexion pour résister à l’éthique centrée autour de la première personne et à une vision détachée des technologies. Dans cette exposition, j’ai revisité la proximité critique afin d’aborder notre intimité aux objets et aux sujets à travers des œuvres qui provoquent des émotions complexes comme la tristesse, le deuil, l’anxiété et la peur en période de pandémie. Cette sélection d’œuvres d’art contemporaines est une invitation personnelle à partager des objets intimes, des émotions et des expériences, à réfléchir à ce qui est arrivé et à ce qui n’est pas encore arrivé.
- Erandy Vergara-Vargas